Landier se réveille avec une sacrée gueule de bois. La fiesta était sensationnelle, même si elle laisse une impression amère, côté foie, mais les petits matins blêmes sont une réalité, une réalité réelle, pas une réalité virtuelle. Il émerge péniblement de ce qu’on appelle le sommeil du juste, et s’aperçoit soudain que, devant lui, trois individus le contemplent en se bidonnant. Il y a le noir emploi jeune, gelé, emmitouflé, la maghrébine de la deuxième génération contrat emploi solidarité, et un petit frisé sympathique, qui doit être le conseiller d’éducation. Il réalise qu’il est sur le plumard de l’infirmerie. Comme il n’y a pas d’infirmière, les surveillants ont annexé ce domaine, y installant leur bazar. Ils finissent de boire un kaoua avant de prendre le service de cour. Landier en voudrait bien un peu mais il n’en reste plus, ils ont tout avalé. Il ne se rappelle plus la fin de la bringue. Jacob a du le ramener au collège et l’installer dans ce local, de peur qu’il dégueule chez lui. Si sa femme revenait sans prévenir ... bon réflexe. Le Vieux Con a bien dormi, comme une souche. Il n’a même pas fait son cauchemar favori, celui où il revoit sa mère sur son lit de mort.
Il boirait bien un coup de café, et s’en va avec difficulté vers la cuisine, le cuistot lui trouvera bien un fond de gamelle. En chemin, il rencontre une toute petite blonde, pas toute jeune, frisottée à l’ancienne, qui en revient en trottinant. Elle se présente : c’est l’intendante, Madame Brieffe. Elle l’a vu avec Jacob, elle sait qui il est. Bonjour, très honoré, Monsieur le Principal. Que veut-il ? un coup de café, si c’est possible. Après une courte hésitation, elle l’invite à le boire chez elle plutôt qu’avec le personnel de cuisine: il accepte, reconnaissant, un peu honteux, il a l’air vaseux, et surtout confus : il lui faut sa dose de caféine et il en ferait des choses pour ça, enfin ... n’exagérons pas...
Landier pense qu’elle devait être assez bien il y a une vingtaine d’années. Actuellement, elle a conservé une certaine allure, mais le regard est fuyant, elle a des yeux bleus qui font penser à ceux d’un poisson dont les pérégrinations aquatiques sont terminées, dont la carrière est achevée, qui a vécu plus longtemps qu’il ne vivra. Elle a un problème : c’est sûr. Peur des élèves ? du personnel ? ou tout simplement question d’ordre familial ? Ils montent à l’appartement. C’est le jumeau de celui de Jacob, absolument symétrique par rapport à l’escalier. Elle ouvre la porte, fermée à clef, et lui fait les honneurs de son logis.
Symétrique, oui, mais meublé de façon totalement différente. Ici, l’intérieur est vraiment vieillot. Landier se croirait chez sa mère, dans les années cinquante.
Des tas de souvenirs sont accrochés aux murs, comme le thermomètre rapporté de la colonie de vacances, le baromètre en forme de gouvernail, l’assiette décorée d’une bretonne coiffée d’un tube vertical blanc dentelé, et autres joyeusetés banales vendues comme pittoresques. Sur une table, une rondelle d’un minéral mystérieux complète ce ramassis de souvenirs. Un aquarium avec un poisson rouge qui a pris un coup d’eau de Javel, il est devenu blanc. Pas de fruits pourris dans quoi que ce soit, ni de calendrier du facteur avec l’Angélus de Millet. Un manque culturel important, anormal.
La salle à manger est de style Henri II, typique de cette époque dont on cultive la nostalgie avec d’autant plus de ferveur qu’on ne l’a pas vécue. Un peu comme la Grande Guerre. On peut toujours en parler. Plusieurs bouquets de fleurs séchées ont la prétention d’égayer la maison. Ils n’y parviennent pas du tout. Dans un cadre la photo d’un homme jeune est bordée de crêpe noir. La maison du souvenir, en quelque sorte. Pas rigolo tout ça. Il y a une télévision d’allumée, il n’en sort aucun son. Dans un coin de l’écran, un petit dessin qui schématise un haut-parleur est barré. Cela signifie probablement que le son est coupé. Landier admire sincèrement cette découverte de la Science Moderne, qui permet à un malentendant de ne pas entendre, mais aussi et surtout de savoir qu’il n’y a rien à entendre. De quoi lui remonter le moral ! On n’arrête pas le progrès (bis repetita…). Ca sent le vieux, aussi. La lavande, et aussi, étonnant mélange, le parfum du tabac froid. Pas agréable le matin. Cette brave dame n’est pourtant pas du genre à fumer ? Madame Brieffe s’excuse et va préparer le café dans la cuisine. On l’entend s’affairer. Landier s’assoit et attend patiemment lorsque la porte de la chambre s’ouvre : dans une chaise roulante, une jeune fille arrive pour voir ce qui se passe. Son visage est pratiquement identique à celui de sa mère supposée, en un peu plus bouffi, plus jeune aussi. Elle semble surprise de cette visite inopinée. Elle est vêtue d’une robe de chambre à fleurs, ses cheveux longs ne sont pas démêlés, elle ne donne pas l’impression de quelqu’un de soigné, mais plutôt crados. Landier la salue poliment. Le Vieux Con ne l’intéresse absolument pas, elle voulait simplement savoir ce qui se passait. Elle sort un paquet de cigarettes de sa pochette et allume son petit clop. Elle aspire goulûment la fumée de cette première cigarette du matin, celle qui esquinte le foie, puis l’exhale tout doucement, par petites bouffées, pour en profiter au maximum.
Landier ne peut s’empêcher de faire le malin . Il a appris, jadis, une récitation et va la caser, par bribes, pour essayer de briser la glace :
-« Toute l’âme résumée
Quand lente nous l’expirons »
Il n’a pas le temps de poursuivre qu’elle a déjà pris la relève :
« Dans plusieurs ronds de fumée
Abolis en d’autres ronds »
Il est tellement surpris qu’il en oublie la suite immédiate. Il se rattrape en déclamant la fin, non sans prendre un air grave et affecté, comme s’il était un artiste.
«Le sens trop précis rature
Ta vague littérature »
Pendant une minute, ils se regardent : d’abord, regard de défi, puis regard d’estime réciproque, enfin un tout petit instant de complicité. La probabilité pour qu’une armée de singes tapant sur des machines à écrire reproduise les œuvres de Victor Hugo n’est pas nulle, celle pour qu’un pépère approchant la soixantaine récite du Mallarmé de concert avec une handicapée de vingt ans un matin ers 8h45 AM, en attendant le café, était infime, c’est une évidence. Il semblerait que seuls les Vieux Cons et les handicapés se souviennent de Mallarmé. Soudain la jeune fille démarre au quart de tour, hargneuse, sans qu’on sache pourquoi :
«J’en ai rien à foutre de votre pitié ! Je ne suis pas un spectacle et je refuse à le devenir ! Gardez vos bons sentiments sans valeur pour d’autres ! Je ne vous dois rien et je ne vous devrai jamais rien ! Attendrissez-vous sur qui vous voulez mais pas sur moi ! »
Le moment de complicité a été bien fugace, pense Landier, qui le regrette. C’est vrai, on ne peut s’empêcher de la plaindre, mais il ne pensait pas l’avoir provoquée. Il se demande ce qui a bien pu provoquer cette explosion. Mystère. Elle s’en veut d’avoir été comprise un tout petit peu par un étranger ? La mère Brieffe revient avec son kaoua et lui en verse une tasse.
Il dévisage le breuvage. Il est allé au Repas de l'Association des Amis du Blé Dur et, au moment du café, son voisin, économe dans un Hospice de vieillards, lui a expliqué qu’ils dégustaient le mélange idéal pour collectivités, un tiers Cameroun, deux tiers Centrafrique. Il en reconnaît le goût, autrement dit il boit le café de la cantine. Il n'est pas sectaire et accepte volontiers cet état de fait. La jeune fille, dont il apprend le prénom, Lucette, est totalement déboussolée. Une écorchée vive. Elle a du le prendre pour un démarcheur en "marketing humanitaire" qui cherche à la récupérer pour sa publicité personnelle, qui veut être photographié avec une handicapée pour bien prouver qu'il s'en occupe réellement, à l'appui de sa demande de subvention. Une regrettable erreur. Dommage. C'est vrai qu'ils sont bien différents, mais tout de même ...L'argent a faussé toutes les approches, elle a raison d'être méfiante.
Elle ne peut pas raisonner comme lui. Il ne veut pas relancer une discussion avec, lui donner des motifs d’excitation, aussi il interroge sa mère :
-« Que pensez-vous du meurtre de votre patronne ? ».
Elle n’a pas le temps de réagir, de répondre, que la fille, délibérément agressive, qui se veut absolument désagréable pour effacer la bonne impression, pourtant fugace, qu’elle a pu créer au début, redouble de hargne et de vigueur :
-« Elle a récolté ce qu'elle a semé, pour une fois qu'il y a une justice! »
Cette opinion, qui semble assez communément admise dans l’établissement, soulève une protestation de principe de la mère, qui préférerait une expression plus nuancée, plus diplomatique. On pourrait jaser . . .
Il est vrai que l’exercice d’un pouvoir, même modeste, donne à certains individus prédisposés l’occasion de vexer, de blesser, de meurtrir impunément les plus fragiles. Il semble que la terrible Madame Marrage n’ait pas manqué une occasion de pratiquer cette activité dans son établissement, s’attirant, par voie de conséquence, des inimitiés particulièrement farouches. Le Vieux Con est persuadé que ceux qui ont un peu de pouvoir, exécutants minables et incompétents notoires auxquels les chefs ont confié des responsabilités excessives , en tout cas disproportionnées par rapport à leurs aptitudes, pour être sûrs de leur dominance, sont les pires: ils ne savent pas résister à la tentation d’emmerder les autres, par tous les moyens en leur possession, pour montrer qu’ils sont des chefs, eux aussi. Parade, frime, que de crimes... Lucette continue :
-« Dis-lui ce qu’elle t’a fait vivre comme enfer, tout ce qu’elle a imaginé pour te mettre à bout, dis-lui . . . »
Elle n’ose pas, la toute petite intendante, dire ce qu’elle a sur le cœur, elle a trop peur que ce soit répété dans l’intention de lui nuire. Finalement elle raconte une des demandes subtiles et délicates de sa Chef bien-aimée :
-« Vous savez certainement, Monsieur le Principal, que lorsque le cuisinier est malade, il doit, à son retour en activité, faire la preuve qu’il ne lui reste pas de traces de streptocoques ».
-« C’est vrai, admet Landier, mais le texte de 1977 étant pratiquement inapplicable, on se contente d’accepter une autorisation de reprise, un certificat médical et on fait avec ».
-« Madame la Principale m’a obligée à appliquer le texte en question. On devait faire analyser les selles du cuisinier pour acquérir la certitude de non-contagion. ».
-« J’ai donc fini par obtenir un échantillon de ce que vous imaginez du cuisinier, et j’ai demandé au Médecin Scolaire du secteur d’étudier le problème en faisant une coproculture, comme indiqué. Elle a refusé tout net, arguant qu’elle n’était pas équipée pour ce type d’analyse. J’ai fait parvenir l’échantillon au Médecin du Rectorat, qui a fait toute une histoire. Convoquée par le Recteur et le Secrétaire Général, j’ai été accusée de manque de respect et ma note administrative a été baissée d’un dixième de point ! Un coup dur pour ma carrière. »
« De plus, Madame la Principale a affirmé au Conseil d’Administration que je n’avais pas fait mon travail, et qu’elle dégageait sa responsabilité en cas d’intoxication, d’épidémie. Les parents d’élèves m’ont attaquée publiquement. En une seule action elle m’a brouillé avec le cuisinier, qui me considère comme une folle, avec les divers médecins scolaires, avec les divers membres du Conseil d’Administration et avec ma hiérarchie administrative. Ma respectabilité en a pris un coup, et mon avancement est compromis. C’est vraiment injuste, car je fais mon travail le mieux possible. ».
Landier imagine les diverses scènes narrées avec indignation par l’intendante, et ne peut s’empêcher de sourire. Dans d’autres circonstances, ce serait une bonne blague, mais il doute que son ex-collègue possède la moindre parcelle à implantation humoristique dans le cerveau. C’est plutôt à elle qu’un collègue farceur a fait une plaisanterie, elle y a cru très sérieusement et s’est acharnée sur la mère Brieffe, qui a pris une gamelle parce qu’elle n’a pas osé l’affronter. Il pense que les membres du C.A. se sont certainement demandés si le débat était surréaliste. Il avait participé à un stage qui lui avait laissé cette impression difficilement descriptible, consacré à l’utilisation de l’outil informatique dans le cadre de la Pédagogie du Cerveau Gauche.
Il s’était demandé pendant toute la matinée si le mec parlait en français normal, ou si c’était la réincarnation de Pierre Dac qui, tranquillement, dissertait sur l’évolution des istioblocs, de la façon de les urnapouiller par temps de brouillard. Il ne connaissait toujours pas la réponse à cette question. Mais tout d’un coup, Lucette se déchaîne, explose :
« Et le coup du menu, ? Tu t’étais trompée et avais marqué « riz balsamique » à la place de « riz basmatique ». Elle t’a demandé «et pourquoi pas des filets de carpe Diem ou de sole Millau ? »
« Elle n’avait pas trouvé cette astuce toute seule, trop conne pour ça, c’était un prof petit bourgeois de la gauche caviar qui l’avait pondue, plus prompt à soutenir des actions lointaines et sans prise de risques personnels qu’à soulager le désarroi qui le côtoie au quotidien. Pour faire le malin, il la lui avait suggérée finement, délicatement, et cette timbrée en a profité ! ».
Landier se dit qu’elle doit en avoir gros sur la patate pour sortir des phrases toutes préparées, qu’il a fallu du temps pour mettre au point. Elle a du ruminer, ruminer... Elle redémarre :
« Tu ne te rends même pas compte que tout ce qu’elle voulait, c’était te ridiculiser ! La hiérarchie ! Tu peux la diviniser, elle est belle la hiérarchie ! De toute façon tu vis dans un monde complètement absurde. Tu as tout de la victime ! Tu refuses de te battre ! Tu es persuadée que la vie doit être un enfer et que notre seul motif de survie est d’endurer, vaille que vaille, le maximum de souffrances. Que ce soit ton plaisir, passe encore, mais en faire une doctrine, un mode de vie, est idiot, invraisemblable ! C’est infernal ! Comment veux-tu que je puisse vivre dans cet univers où tu m’as enfermée ? »
« En réalité tu ne m’aimes pas, tu ne m’as jamais aimée !
Landier se dit que le grand déballage familial a trouvé une raison d’avoir lieu : il y a un spectateur... merci du cadeau. Le café gratuit, ça coûte cher.
« Tu n’as pas eu le courage de me supprimer à la naissance, lorsque tu t’es aperçue que l’accoucheur ne m’avait pas ratée ! Je n’ai pas demandé à venir au monde ! Il ne fallait pas me laisser vivre ! Ah, il est beau le fruit de tes entrailles ! Il est réussi ! »
« Tu as préféré conserver à la maison, vivante et estropiée, une handicapée, une inutile qui ne dépendait que de toi, ta propriété personnelle, ton joujou du soir, ta poupée misérable, une possession que tu étais sure de ne jamais être obligée de partager !. »
« Et ne parlons pas de la folle qui dirigeait cette boite ! Quand j’ai obtenu enfin de toi que tu lui demandes un contrat emploi solidarité, elle t’a envoyée promener avec des ricanements sadiques ! Je n’avais pas le profil du poste ! »
" Quelle définition avait, pour elle, le mot "profil" ? Quelles qualités fallait-il montrer pour plaire à Madame la Principale ? Que faut-il pour seconder la concierge ? Un timbre de voix spécial, enchanteur, pour roucouler, susurrer ? Le sourire factice en vente promotionnelle dans les grandes surfaces ? Savoir-faire du café, du thé peut-être ? Mais encore ? Savoir s'habiller ultra-court ? On brûle, c'est le cas de le dire ! Le plus important est de montrer son cul, voilà tout ! »
« Mais moi, dans une chaise roulante, comment j’aurais fait pour le montrer ? Hein ! Dis-moi ? Et si j’avais pu le montrer, qui aurait apprécié les escarres ? Il aurait fallu me maquiller jusque là ? Lancer un art nouveau ? On décore bien les plâtres, pourquoi pas les escarres ? Un sacré boulot le matin ! »
Landier est de plus en plus gêné. Il contemple son café, un tiers Cameroun, deux tiers Centrafrique, en cherchant des reflets sur la surface. Rien du tout. Il doit y avoir quelques temps que la fille prépare son explosion ! La mère a la tête dans ses mains et pleure, pleure. Landier écarte sa tasse pour qu’elle ne récupère pas trop de cheveux. Il aurait volontiers accepté un calva du Pays d'Auge , autant que possible, ou un Fil-en-Six, ah la Normandie de ses débuts ... mais ... La fille est lancée, elle vide son sac : .
Ca ne t’aurait pas arrangée ce travail supplémentaire ! En réalité tu n'as pas insisté, tu as abandonné ta demande vite fait, parce que tu avais peur que je puisse te voir au «travail » : Parlons-en de ton travail !
« Ta façon d’être servile, de ramper devant cette salope, d’emmerder les agents de service, de ne pas assumer tes responsabilités, de gratter quelques papelards inutiles en te donnant une importance totalement injustifiée ! »
« Elle a refusé de m’embaucher à cause de mon look de future grabataire, peu engageant il est vrai, dans ce monde pourri où l’apparence seule compte et où la connerie règne, il risquait de faire réfléchir les visiteurs, mais tu étais bien contente que je ne sois pas dans tes pattes ! Avoue-le ! Avoue ! ».
« Ce n’est pas vrai ! hurle la mère, tu es ma fille et je t’aime, c’est tout. Il n’y a rien d’autre. J’ai tout fait pour que tu aies ce petit boulot. Je sais qu’il faut que tu sortes de cette solitude, mais elle n’a pas voulu m'entendre! Je n’y peux rien ».
Elle sanglote et son maquillage s’en va, irrévocablement dissous, au fil des larmes, au gré des pleurs. Le masque tombe, qui cachait la détresse. Landier est exaspéré par la violence de Lucette, mais il ne peut, ni ne veut intervenir de quelque façon que ce soit. De toutes façons, il pense que ce serait une erreur. Il faut que la mère et la fille règlent leurs problèmes entre elles, et elles seules. Il ne doit être que le spectateur impuissant d’une scène de "ménage", comme il s’en produit fréquemment dans la plupart des familles.
Quand il était gosse, les voisins aimaient bien s’engueuler et se taper dessus les soirs de biture. Une habitude comme une autre, peu recommandable, certes, mais il n'y avait pas la télé, et après s'être tabassés, en évitant de casser trop de matériel, pas si fous que ça, ils se réconciliaient au pageot. Aujourd’hui les deux n’ont rien sifflé, trop tôt, mais les vieilles rancœurs accumulées depuis des années s’expriment.
Quand même, la mère contre la fille, c'est rare. A croire que Lucette attendait un catalyseur pour s'exprimer ! Eh oui ! il n'est qu'un catalyseur, rien de plus, pas de quoi être spécialement fier mon vieux, pas de quoi pavoiser.
Cette scène, avec ses outrances verbales, qui dépassent la pensée, sera bénéfique, se persuade-t-il, et plus rien ne sera comme avant. Au fond, ça l’arrange de penser comme ça : ne pas prendre de responsabilités quand on peut faire autrement, on lui a fait souvent comprendre qu'il n'est qu'un vieux gratte-papier impuissant et sénile, il en a la culture, les réflexes ... " Réglez ça entre vous, c'est pas mon problème ", voilà le discours qu'on lui appris, auquel il faut se tenir.
Lucette aurait pu attendre, quand même, qu’il soit parti, au lieu de profiter de sa présence. Il n’a rien à voir avec ce règlement de comptes. Il n’a qu’une idée : s’en aller. Il a horreur de jouer les témoins muets et compréhensifs d’une scène où il n’a aucun rôle. Il prend la parole entre deux hurlements pour s’excuser, mais il doit se rendre à l’Inspection Académique. Rendez-vous important, évidemment.
Les deux nénettes, qui l’avaient oublié dans le feu de l'action, le redécouvrent, font semblant de se calmer un instant, en profitent pour reprendre leur souffle, lui souhaitent bon voyage. A peine est-il sorti qu’elles recommencent à s’engueuler. Bon courage, bonne continuation, à un de ces jours Tchao !
Copyright R. D.2002
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